L'urbanisme au défi de la nature (1804-1835)

L’empreinte de Catherine II

Du bois à la pierre

Dans l’esprit de Pierre le Grand, puis de la commission de 1737, Catherine II fonde sa propre entité. Une nouvelle commission de planification se voit confier la tâche d’édicter les projets urbains de la cité jusqu’à sa dissolution en 1796[1]. Cette initiative tient plus de l’idéologie, car l’initiative de 1762 va impliquer les autres villes russes dans le processus. On parle ici de l’obligation d’avoir un trident, des artères larges et droites, les maisons doivent être alignées et bâties des deux côtés, ayant l’air d’une façade unique[2]. Cette philosophie vient des envies de l’impératrice de faire de Saint-Pétersbourg un modèle pour le reste de la Russie. Le nouveau plan de la ville prévoit des travaux pour doter le centre-ville de constructions régulières en pierre avec, pour les grands édifices, la priorisation des styles néoclassique et antique[3]. Ce qui représente un changement majeur dans le style de la cité qui est précédemment axé vers le baroque[4]. Cette obsession du paraître est un héritage de Pierre le Grand. Catherine II exerce son pouvoir en ayant à l’esprit d’impressionner, de faire briller la capitale pour la cour et la noblesse[5]. Preuve en est la transformation des canaux du centre-ville qui se voient bordés de part et d’autre de quais en granite, de lumières, d’expansion de zones pavées, d’un système d’égout[6].

Certaines décisions sont prises au détriment de la population. Par exemple, la limitation de différents types d’activités économiques pour les paysans et les basses classes de la cité, ou l’expulsion des sans-emplois. Cette rigidité tend à nuire au développement naturel de l’urbanité[7]. Si Catherine consacre la pierre, durant les années 1790, plusieurs secteurs sont encore en bois[8]. Catherine poursuit le travail initié par Pierre le Grand et la commission de 1737. De par la longueur de son règne et la force qu’elle imprègne avec son pouvoir, la ville devient une des plus importantes d’Europe. Il est donc probable que la cartographie de Saint-Pétersbourg, au tournant du siècle, soit à l’image de la puissance de Catherine II.

[1] George E. Munro, The Most Intentional City: St. Petersburg in the Reign of Catherine the Great, Plainsboro, Associated University Presse, 2008, p. 217.

[2] Ibid., p. 218.

[3] Ibid., p. 237.

[4] James H. Bater, St. Petersburg: industrialization and change, London, E. Arnold, 1976, p. 31.

[5] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 258.

[6] Munro, op. cit., p. 280.

[7] Ibid., p. 281.

[8] Gilbert Rozman, Urban Networks in Russia, 1750-1800, and Premodern Periodization, Princeton, Princeton University Press, 1976, p. 147.

La carte de Savinkov

Figure 19. Aleksandr Savinkov, « Plan Peterburga 1804 goda Savinkova », 1804, https://bit.ly/2Ez1EXO. (Consulté le 4 novembre 2019).

Figure 20. Aleksandr Savinkov, « Plan Peterburga 1804 goda Savinkova », 1804, https://bit.ly/2Ez1EXO. (Consulté le 4 novembre 2019).

La carte est réalisée par le russe Alexander Savinkov[1]. La source est décrite par la Bibliothèque nationale russe comme une représentation administrative de la cité en 1796. L’institution précise que Savinkov travaille pour le Dépôt de Cartes de Sa Majesté Impériale créé en 1797 par le successeur de Catherine II, le tsar Paul 1er. Fort des sources conquises sous le règne de sa mère, Paul 1er centralise les archives et travaux cartographiques de l’époque sous une même bannière[2]. Cette nouvelle entité implique la création d’une section de huit graveurs dédiés à la cour[3]. Avec ces nombreux plans, de la Russie et de Saint-Pétersbourg, il est probable que Savinkov fût un membre des huit cartographes en question. Avec ces considérations, une source de Savinkov peut être biaisée puisque son travail est commandé par le tsar lui-même.

La carte est plus qu’une image de Saint-Pétersbourg puisqu’elle comporte une légende intéressante. En effet, sont notés en rouges, gras, les bâtiments de pierres. Ceux en rouges moins intenses sont de pierre et de bois. Les jaunes représentent le bois. Il est aisé de constater que le centre-ville est dans sa totalité construit en pierre et que plus on se dirige vers la périphérie, plus le bois devient la matière principale. Ce qui intrigue toutefois, c’est qu’au regard des cartes, l’occupation du territoire s’est réduite. L’île de Pétersbourg est à moitié déserte et la cité ne se développe pas hors des limites connues.

La présence de couleurs oblige à les considérer dans l’analyse de la source. Une carte avec des symboles doit remplir quelques bases : avoir un message discernable, partager une description précise des données, ne pas induire en erreur, attirer l’observateur sur l’élément le plus important[4]. Ces critères semblent s’inscrire dans le travail de Savinkov à une exception. Il faut partir du principe que le rouge gras indique des bâtiments en pierre, qui, d’après l’histoire de la cité, risquent moins d’être sujet à incendie. Alors que les constructions en jaune sont vulnérables. Mais qu’en est-il de celles simplement rouges, correspondant à des édifices de pierre et de bois ? Il faut être prudent quand plusieurs couleurs sont utilisées, car elles ne reflètent aucune valeur exacte, ce qui peut induire en erreur[5]. La déclinaison de rouge apporte une confusion puisqu’elle laisse entendre une domination de la pierre sur le bois sans préciser le pourcentage de chacun. L’humain est naturellement interpellé par les couleurs de base, comme le bleu et le rouge, et cette caractéristique peut être utilisée par les cartographes de propagandes[6]. Il faut donc être suspicieux de certains critères qui, sur le document de Savinkov, renforcent le sentiment sécuritaire d’une ville où la pierre prédomine largement.

[1] Aleksandr Savinkov, « Plan Peterburga 1804 goda Savinkova », 1804, https://primo.nlr.ru/permalink/f/df0lai/07NLR_LMS010107055. (Consulté le 4 novembre 2019).

[2] Steven Seegel, Mapping Europe’s Borderlands: Russian Cartography in the Age of Empire, Chicago, University of Chicago Press, 2012, p. 72.

[3] Ibid. p.72

[4] A. Jon Kimerling et al., Map Use : Reading, Analysis, Interpretation, Redlands, California, Esri Press, 2016, p. 127.

[5] Mark Monmonier, How to Lie with Maps, Third Edition, Chicago, University of Chicago Press, 2018, p. 65.

[6] Ibid., p. 67.

La structure urbaine au début XIXe siècle

L’espace pétersbourgeois a son premier découpage administratif avant la moitié du XVIIIe siècle. Depuis, ce classement des quartiers connaît quelques modifications. Dans cette section. Le SIG a pour objectif de comprendre la division du territoire et d’expliquer pourquoi certains espaces ne profitent pas de la modernisation de Catherine II.

On constate l’émergence de nouvelles zones, au centre et à l’est de la cité. Selon Munro, il y’a en 1796 dix arrondissements[1]. L’Amirauté est divisée en trois parties. Au côté de la Fonderie naissent deux entités : le quartier des Carrosses et Coches et celui de la Nativité (Rojestvenskaia)Sont reconnaissables des quartiers existants : Vassilievski, l’île de Pétersbourg, Moscou, Vyborg et Okhta.

Figure 20. Arrondissements de Saint-Pétersbourg en 1804.

Figure 21. Arrondissements de Saint-Pétersbourg en 1804.

La fracture entre le centre et la périphérie perdure. La carte de Savinkov montre une planification moins soutenue dans les zones extérieures. La communauté historienne explique ces phénomènes de multiplication d’arrondissements et de faible densité. Le centre-ville observe une croissance de la population et une utilisation intensive de ces territoires[2]. Les quartiers extérieurs des Carrosses et Coches, de la Nativité, de la Fonderie, et de Moscou, représentent un quart des Pétersbourgeois[3]. Ces quartiers évoluent peu depuis la moitié du siècle dernier. La population est constituée de militaires et de petites gens[4], qui, en cinquante ans, ne connaissent pas de croissance démographique, faisant perdurer l’aspect rural de ces zones laissées de côté. Cependant, les îles de Pétersbourg et Vassilievski ont des particularités. Premièrement, la différence de description de l’île de Pétersbourg entre la carte de Truscott et Makhaev en 1753, et Savinkov en 1804, est visible. Alors qu’elle est dense en 1753, elle est à moitié vide en 1804, sans bâtiment de pierre. Sur l’île de Pétersbourg, initialement considérée comme propice à l’établissement du centre-ville par Pierre le Grand, peu d’édifices subsistent de ces projets. Plus que les autres, ce quartier « historique » de la cité ne suscite aucune amélioration. Quant à l’île Vassilievski, la carte la dépeint telle qu’elle est : vide au milieu, habitée à l’ouest et à l’est. Cette île présente à elle seule les caractéristiques des ambitions de Pierre, avec les contraintes et la ruralité isolée, qui perdurent cent ans après la création de la cité.

Figure 21. L’île Vassilievski, ses habitations, son marécage en 1804.

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Enfin, il importe de se questionner sur l’expansion de la cité suite après 1737. Gilbert Rozman explique que ces frontières urbaines n’évoluent pas avant la fin du siècle[5]. Le SIG montre qu’à certains endroits les limites de la capitale se sont réduites. La ville s’est certes rapidement construite et profite des commissions urbaines pour planifier le futur. Toutefois, jusqu’au XIXe, Saint-Pétersbourg ne s’agrandit pas vers l’extérieur.

Figure 21. L’expansion de la cité en 1737, d'après Rozman, sur la carte de 1804.

Figure 22. L’expansion de la cité en 1737, d'après Rozman, sur la carte de 1804.

À partir de 1737, la cité développe son centre et ce cap sera celui de Catherine II. Saint-Pétersbourg connaît alors une croissance de population importante puisqu’elle devient la ville la plus peuplée du pays avant le XIXe. Ce phénomène n’entraîne pas un élargissement de la ville. Cela s’explique par la présence d’une élite locale et étrangère. Selon le recensement de 1804, la noblesse et les fonctionnaires comptent pour 8,44 % des Pétersbourgeois et la bourgeoisie pour 12,74%[6]. Cela fait un cinquième de la population qui projette d’habiter au centre, ou du moins, proche des points névralgiques. À cela, il faut ajouter environ 40 000 étrangers à la fin du siècle[7]. Leur nombre représente 15 %. Il se décline parmi les catégories comme les marchands et officiers et les activités des étrangers se déroulent dans le centre de la cité[8]. Ainsi, plus d’un tiers des personnes cherche à se concentrer dans les quartiers importants, comme l’amirauté et l’est de Vassilievski, une partie de la Fonderie. Ce qui pourrait avoir comme conséquence de laisser de grands espaces vacants en périphérie. Cette concentration est le résultat de la politique urbaine de l’image élitiste et cosmopolite que dégage la cité des tsars.

[1] George E. Munro, The Most Intentional City: St. Petersburg in the Reign of Catherine the Great, Plainsboro, Associated University Presse, 2008, p. 234-235.

[2] Ibid., p. 235.

[3] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 171.

[4] Ibid.

[5] Gilbert Rozman, Urban networks in Russia, 1750-1800, and premodern periodization, Princeton, Princeton University Press, 1976, p. 146-147.

[6] Berelowitch et Medvekova, op. cit., 176-177.

[7] Ibid., p. 180.

[8] Ibid.

L'urbain au service de la beauté visuelle

Le règne de Catherine II s’accompagne d’une nouvelle réforme urbaine. Le rôle du SIG est de montrer les projets entamés sous l’impératrice. Ils permettront d’observer quels sont les chantiers prioritaires de Saint-Pétersbourg et les objectifs de tels accomplissements. Mais aussi d’interroger l’adaptation de l’urbanisme au territoire. La souveraine préconise, dans sa réforme, le style antique pour redéfinir la cité, tel Rome, et cette influence devient la base pour les villes de l’Empire[1]. À Saint-Pétersbourg, cette mode est symbolisée par l’aménagement des quais de granite dans le quartier de l’Amirauté. Cette matière réputée solide et durable — critère important dans un environnement comme Saint-Pétersbourg — est abondamment utilisée pour la construction de la Rome antique et cela jusqu’à la renaissance[2].

Figure 22. Les quais de Saint-Pétersbourg (1804). Le blanc représente le granite, le marron le bois, le noir l’absence de quai.

Figure 24. Les quais de Saint-Pétersbourg (1804). Le blanc représente le granit, le marron le bois, le noir l’absence de quai.

Quand Catherine II accède au trône, les principaux quais de la cité sont de bois. Lorsque la souveraine décède, la Fontanka, le canal Catherine, et les quais de la Neva sont construits à base de granite contribuant à magnifier les abords des canaux[3]. La durabilité de cette pierre, utile contre les inondations, réduit l’érosion des sols et permet l’apparition d’un système d’évacuation d’eau, empêchant ainsi les canaux de se boucher. L’efficacité de ces quais est relative. L’économiste Heinrich Friedrich Von Storch, dans sa description de la ville, précise que la présence du granite rend les inondations moins importantes qu’il n’y paraît[4]. Selon Storch une crue de cinq pieds touche l’ouest de la cité. Tandis que lorsqu’elle atteint les dix pieds, seulement l’est de la ville est épargné. Ainsi, on comprend que la cité ne cherche pas à annihiler les inondations, mais à réduire les risques possibles.

L’usage du granite a également un autre avantage. Il facilite, par sa robustesse, le débarquement de marchandises ou de personnes et est à la fois beau et efficace[5]. Les travaux d’aménagement des quais s’amorcent en 1769 et se terminent en 1788. Tous n’ont pas été transformés. La Moïka, un des trois canaux centraux, n’est pas entièrement de granite. Lorsque l’abbé Jean-François Georgel visite Saint-Pétersbourg entre 1799 et 1800, le fils de Catherine II, Paul 1er, a pris la relève pour s’assurer que le troisième canal soit de granite[6]. Le retard de la Moïka s’explique par le fait qu’il soit composé de virages étroits dans un milieu densément peuplé[7]. Ces difficultés justifient pourquoi les quais de la Neva, du côté de l’Amirauté, sont également revêtus de granite avant la Moïka. Selon Georgel, du couvent de jeunes filles à la pointe de l’arrondissement de la Nativité, jusqu’à l’extrême ouest de l’Amirauté, le quai est de granite, excepté au niveau du bâtiment de la manufacture et du palais d’hiver[8]. Les quais, à l’extérieur de l’Amirauté, n’ont guère le privilège du granite. Storch, dans sa description de la cité, indique qu’à Vyborg il n’y a pas de quai[9]. Et que sur l’île de Pétersbourg, la forteresse Pierre-et-Paul est la seule à en bénéficier. Du côté de Vassilievski, espace commercial majeur, le bois est encore utilisé, mais le quai est mature pour une conversion au granite. Il est inéluctable que ce dernier arrondissement connaisse une transition vers le granite puisqu’il facilite notamment le débarquement du fret. Toutefois, l’embellissement ne garantit pas la qualité de l’eau. Selon Storch, lorsque les eaux sont en contact avec une autre matière que la pierre, des particules hétérogènes s’y mélangent. D’après l’économiste russe, il est habituel de voir des bateaux au milieu de la Neva venir récupérer de l’eau saine. Ainsi, les eaux de la Fontanka sont d’une qualité moins bonne que la Neva, le canal Catherine est pire, celles de la Moïka sont imbuvables[10]. Si l’embellissement des quais donne une image propre, se rapprochant de l’idéal envisagé, certaines conditions sanitaires semblent surgir malgré des mesures pour améliorer la situation, comme le fait d’éloigner les tanneries qui rejettent leurs déchets dans l’eau dès 1767[11].

Ainsi, le centre de la capitale est aussi densément peuplé que les efforts pour le rendre majestueux sont importants. Or, la ville est encore clairsemée en périphérie et peu d’initiatives efficaces sont entreprises comme en témoignent deux artères de Saint-Pétersbourg : la Grande Avenue de l’île Vassilievski et la Perspective Nevski.

Figure 23. La Grande Avenue (île Vassilievski), la Perspective Nevski et localisation de Gostinyy Dvor.

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Cependant, Berelowitch et Medvekova théorisent que la longueur de ces artères confirme le vide dans Saint-Pétersbourg[12]. La carte de Savinkov illustre leur propos.Les grandes artères sont les repères de la planification et de l’organisation urbaine. Elles sont aussi les reflets des échecs.

D’autres projets nécessitent la modification du territoire comme l’émergence d’un cours d’eau. Depuis la création de la cité, les canaux, initialement vus comme un moyen de transport pour la population, servent aux déplacements des marchandises et à l’évacuation des eaux suite aux inondations. De nouveaux cours d’eau, comme Obvodnyy et Ligovo n’échappent pas à cette règle.

Figure 24. Les canaux Obvodnyy et Ligovo en 1804.

Figure 26. Les canaux Obvodnyy et Ligovo en 1804.

Pour George Munro, la construction des deux canaux vise à drainer les marais, évacuer les crues, définir les frontières de la cité[13]. Toutefois, ces canaux se butent à la réalité. Le canal Obvodnyy a une illustration similaire aux autres, mais il ne sera navigable qu’à partir de 1835, quand il sera approfondi de trois mètres[14]. Son utilisation sera principalement commerciale. Donc, Munro, et peut-être même Catherine II, sous-estiment l’importance de ce canal. Au regard des cartes et des informations déjà énoncées, les conditions de navigation sur la Neva sont difficiles et les canaux comme la Fontanka, la Moika, Catherine, sont trop étroits. Ainsi, le canal Obvodnyy viendra, lorsque que creuser plus profond, améliorer le transit des marchandises, de l’intérieur de la Russie, vers l’international en facilitant le passage à Saint-Pétersbourg.

Et, bien que rien ne l’indique sur la carte de 1804, l’impératrice installe à côté du couvent Smolnyy un débarcadère pour faciliter le transit des marchands intérieurs et le transfert du fret vers le centre de la capitale[15]. Cela doit désengorger le trafic de la Neva et permettre aux points névralgiques, comme l’est de l’île Vassilievski, de ne pas avoir l’unique responsabilité douanière.

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[1] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 218.

[2] Michael J. Waters, « Reviving Antiquity with Granite: Spolia and the Development of Roman Renaissance Architecture », Architectural History, vol. 59, 2016, p. 149.

[3] George E. Munro, The Most Intentional City: St. Petersburg in the Reign of Catherine the Great, Plainsboro, Associated University Presse, 2008, p. 236-237.

[4] Heinrich Friedrich von Storch, The Picture of Petersburg, Londres, T.N. Longman & O. Rees, 1801, p. 158-160.

[5] Munro, op. cit., p. 236-237.

[6] Jean François Georgel, Voyage à Saint-Pétersbourg en 1799-1800, Paris, Eymery et Delaunay, 1818, p. 241.

[7] Munro, op. cit., p. 236.

[8] Ibid., p. 239.

[9] Heinrich Friedrich von Storch, op. cit., p. 16.

[10] Ibid., p. 115.

[11] Munro, op. cit., p. 244-246.

[12] Berelowitch et Medvekova op. cit., p. 171.

[13] Munro, op. cit., p. 236.

[14] Alexei Kraikovski et Julia Lajus, « The Neva as a Metropolitan River of Russia: Environment, Economy and Culture », dans Terje Tvedt et Richard Coopey (éd.), A History of Water, Londres, 2010, p. 352.

[15] Munro, op. cit., p. 243.

Conclusion

Une fois n’est pas coutume, le SIG démontre que l’établissement des quais de granite et le découpage administratif priorisent le cœur de Saint-Pétersbourg. Catherine II, comme ses prédécesseurs, cherche à satisfaire les exigences d’une élite nombreuse et continue de promouvoir l’image occidentale à travers des réformes architecturales.

La situation de la périphérie évolue quelque peu entre 1753 et 1804. Le SIG fait ressortir plusieurs projets, comme l’établissement de nouveaux canaux, d’un débarcadère, permet de donner de l’importance à certains espaces sous-utilisés. Mais certains problèmes restent insolubles, comme la présence de marais sur Vassilievski, la récurrence des inondations, ainsi que la perpétuation des zones clairsemées. Aucune de ces évolutions ne change la dynamique de ces bordures extérieures qui restent en retrait. La création du canal Obvodnyy, encore sous-exploité, ne change guère la dynamique urbaine centralisée. Au contraire, il renforce le sentiment d’un espace non-maîtrisé puisque ce canal doit limiter l’impact des crues qui pourrait peut-être empêcher une expansion du territoire. Les grandes artères illustrent le vide qui prospère en périphérie, la concentration de l’Amirauté, mais aussi l’échec d’établir une occupation totale de l’île Vassilievski.

Les contraintes d’un territoire

Catastrophes sur Pétersbourg

Le choix d’évaluer la cartographie pétersbourgeoise de la première partie du XIXe siècle s’explique par deux facteurs. Le premier est que la plus importante inondation de l’histoire de Saint-Pétersbourg a lieu en 1824, suivie d’une épidémie de choléra. Deuxièmement, après les années 1830, la révolution industrielle viendra influencer l’identité de la capitale. Ainsi, il est pertinent d’étudier le contexte des deux catastrophes qui s’abattent successivement sur Saint-Pétersbourg, pour mieux mesurer l’impact qu’elles ont sur l’urbanisme avant une période charnière.

Jamais la ville n’a pu se départir des inondations récurrentes, et cela, malgré l’élévation du terrain et la construction de canaux[1]. Les sols sont bas et s’exposent à ce risque difficilement maîtrisable. L’évènement se déroule en novembre 1824 lorsqu’un vent fort, venu de la mer Baltique soulève les eaux qui envahissent la cité[2]. L’impact est dévastateur puisque la crue atteint 13 pieds[3]. Une telle vague fit entre 480[4] et 700 morts[5]. Les dégâts matériels sont conséquents : 6 % des maisons sont totalement détruites tandis que 47 % le sont partiellement[6]. Randall Dills revient sur les solutions envisagées pour endiguer ce phénomène. Les possibilités sont limitées et aucune initiative n’a les faveurs du pouvoir. Le tsar, Alexandre Ier, ne semble pas enclin à investir massivement dans la réalisation de transformations mettant en péril l’entreprise de Pierre le Grand[7]. Son successeur, Nicolas Ier, couronné en 1825, suspicieux des ingénieurs, n’amorce aucun projet pour conquérir technologiquement la Neva[8]. C’est à ce moment que la ville comprend que chercher l’origine de ces évènements est plus pertinent que vaincre ce phénomène[9].

La seconde crise frappe Pétersbourg sept ans après l’inondation. Une épidémie de choléra survient en 1831 et ravage la population en faisant des centaines de morts pendant l’été[10]. Toutefois, le choléra pose une équation assez complexe. Lors de cette crise, les connaissances scientifiques ne sont pas assez poussées pour comprendre comment la combattre[11]. Cette problématique tend à rendre difficile la gestion de cette maladie. De plus, la géographie de Saint-Pétersbourg est un accélérateur de la propagation. La Neva et les canaux de la cité sont des agents du choléra. Le port de Saint-Pétersbourg reçoit chaque année des navires de toute la Russie, mais aussi du monde entier. C’est par un petit bateau de pêcheur, venu de l’intérieur des terres, que le choléra s’introduit à Saint-Pétersbourg[12]. Autre accélérateur de l’épidémie, l’inondation de 1824 qui impacte les conditions hygiéniques des Pétersbourgeois. Les dégâts sont visibles jusqu’au milieu des années 1830, laissant les ponts, quais et pavés délabrés[13]. Ceci s’ajoute à la mauvaise qualité de l’eau[14]. Les perspectives sanitaires sont donc un facteur de plus dans la propagation du choléra.

[1] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 301.

[2] Randall Dills, « Cracks in the Granite: Paternal Care, the Imperial Façade, and the Limits of Authority in the 1824 St. Petersburg Flood », Journal of Urban History, vol. 40, n° 3, mai 2014, p. 480.

[3] Randall Dills, « The River Neva and the Imperial Façade: Culture and Environment in Nineteenth Century St. Petersburg Russia », Thèse de doctorat (histoire), Urbana, Illinois, University of Illinois at Urbana-Champaign, 2010, p. 29.

[4] Berelowitch et Medvekova, op. cit., 301.

[5] Dills, « Cracks in the Granite: Paternal Care, the Imperial Façade, and the Limits of Authority in the 1824 St. Petersburg Flood », op. cit., p. 480.

[6] Berelowitch et Medvekova, op. cit., 301.

[7] Dills, « Cracks in the Granite: Paternal Care, the Imperial Façade, and the Limits of Authority in the 1824 St. Petersburg Flood », op. cit., p. 489.

[8] Ibid. p. 489.

[9] Dills, « Cracks in the Granite: Paternal Care, the Imperial Façade, and the Limits of Authority in the 1824 St. Petersburg Flood », op. cit., p. 491.

[10] Bruce Lincoln, Sunlight at Midnight, New York, Basic Books, 2000, p. 120.

[11] Kseniya Barabanova et Alexei Kraikovski, « The management of cholera epidemics and the Neva River in St. Petersburg in the nineteenth century », Water History, vol. 10, n° 2 — 3, septembre 2018, p. 167.

[12] Ibid., p. 166.

[13] Ibid., p. 172-173.

[14] Ibid., p. 174.

Cartographie post-catastrophe

Figure 26. Aleksandre Savinkov, « Plan Peterburga 1835 goda Savinkova », 1835, https://bit.ly/307m0yW. (Consulté le 29 octobre 2019).

Figure 28. Aleksandre Savinkov, « Plan Peterburga 1835 goda Savinkova », 1835, https://bit.ly/307m0yW. (Consulté le 29 octobre 2019).

Cette quatrième carte du corpus fait preuve de continuité puisque le graveur de celle-ci est Savinkov[1]. Disponible dans la banque de données de la BNR, le plan indique la division administrative de Saint-Pétersbourg en 1835. Il est nécessaire de rappeler que Savinkov travaille pour le régime impérial, donc la source reflète une vision avantageuse de la cité. Compte tenu de cette assomption, est-il envisageable de considérer cette source comme un outil de propagande ? Possible, mais c’est aussi atteindre les limites de l’analyse cartographique. Le spécialiste de la géographie, Jon Kimerling et ses collaborateurs débattent des forces et des faiblesses des cartes : elles ne sont pas conçues pour répondre aux demandes individuelles[2]. Cependant, au courant des apports et manques, l’interprétation devient plus facile :

"If you’re aware of Map Limitations, it’s usually easy to makeup for them. It makes sense to bring as much experience and information as possible to bear on map interpretation. The best navigators are those who augment map information with all the direct “ground truth” they can[3]".

Cette carte possède un biais à une époque où Saint-Pétersbourg cherche à se rebâtir. La force de la source est de montrer Saint-Pétersbourg sous son meilleur angle : une ville planifiée, avec la présence de ses quartiers importants. L’aspect manquant étant qu’elle ne reflète pas l’analyse des témoignages historiques et des voyageurs. Est-ce étonnant ? Non. Cependant, être au courant du contexte de production de la source et de l’environnement de la ville permet une utilisation constructive en ajoutant des données pour donner une carte informative.

Ainsi, ce sont les conditions sanitaires qui interrogent. Si les feux de 1736-1737 provoquent une réforme urbaine, l’inondation de 1824 arrive à un moment moins opportun puisque les fondements de Saint-Pétersbourg sont installés. Comment la représentation d’une cité peut-elle être objective quand, en l’espace de onze ans, une ville subit la crue la plus dévastatrice de son histoire et une épidémie causée par une maladie encore inconnue ? Au regard de la carte, rien ne transparaît quant à d’éventuelles modifications. Le piège est de penser que la situation semble logique et que cette impression de propreté et de netteté soit à l’image du ressenti quotidien. Maurizio Gribaudi, qui analyse, à travers l’utilisation des cartes, les occultations du Paris ouvrier au XIXe, énumère les « maladies » parisiennes à la fin du XVIIIe et oppose deux visions[4] : d’une part, celle d’une bourgeoisie comprenant les maux urbains de Paris, tout en les estimant soignables ; de l’autre, la mise en avant de témoignages littéraires et iconographiques, de personnes côtoyant la cité, beaucoup plus critiques de la situation parisienne. L’application de cette thèse à Saint-Pétersbourg est plausible, au regard de certains aspects. La carte de Savinkov, proche du pouvoir, est une représentation des autorités. De Pierre le Grand à Catherine II, la ville a priorisé une vision élitiste en supprimant le plus possible le caractère rural pour parfaire l’image globale. La réalité est plus complexe : dans les années 1830, la ville connaît entre 30 et 40 incendies par an, l’eau courante n’est pas installée dans les maisons avant 1837, les égouts sont rejetés dans les canaux et, par faute du climat, certains témoignent d’un vieillissement accéléré des bâtiments en à peine vingt ans[5]. Ces quelques exemples ne reviennent pas mettre en cause la réputation de la capitale. Au contraire, à cette époque, Pétersbourg est l’image internationale de la Russie : « la ville fait ainsi office de représentation — gravure ou tableau — et sa réalité supposée devient l’image de la puissance monarchique nationale. Quintessence de l’européanité […] elle la transcende par là même et devient un symbole de la Russie, plus russe et plus antique que toute chose[6] ». Alors, Saint-Pétersbourg se retrouve entre deux visions. Celle d’une ville aux caractéristiques européennes qui en font un joyau et sa réputation dans le monde. Et, de l’autre côté, des problèmes urbains qui s’ajoutent aux catastrophes naturelles. Il est nécessaire de se questionner pour savoir si, comme le suggère la carte de Savinkov, le Saint-Pétersbourg des années 1830 ne ressent plus les conséquences des évènements qui la touchent en 1824 et 1831.

[1]Aleksandre Savinkov, « Plan Peterburga 1835 goda Savinkova», 1835, https://primo.nlr.ru/permalink/f/df0lai/07NLR_LMS010106880. (Consulté le 29 octobre 2019).

[2] A. Jon Kimerling et al., Map Use: Reading, Analysis, Interpretation, Redlands, California, Esri Press, 2016, p. 562.

[3] Ibid.

[4] Maurizio Gribaudi, Paris, ville ouvrière: une histoire occultée, 1789-1848, Paris, La Découverte, 2014, p.18-19.

[5] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 270.

[6] Ibid., p. 262.

L’inondation de 1824 : autopsie d’une catastrophe annoncée

Depuis 1703, les inondations sont des incidents récurrents dans la capitale. Preuve que ces crues sont une histoire ancienne, et moderne, entre 1703 et 1986, la ville fait face à 279 montées des eaux[1]. Si Catherine II, dans sa réforme du centre de Saint-Pétersbourg, allie beauté et protection par l’utilisation du granite, aucun système efficace n’est mis en place pour contrer une inondation de l’ampleur de celle qui survient le 7 novembre 1824. Il est notable de mentionner l’existence d’une protection située sur un territoire à haut risque, soit l’est de l’île Vassilievski. Cette zone, inondée à la moindre montée des eaux, est « protégée » par un mur de terre[2].

Figure 27. Digue protectrice sur l’île Vassilievski.

Figure 29. Digue protectrice sur l’île Vassilievski.

Dills ajoute que les autorités n’ont pas la volonté d’investir dans cet espace trop à risque. Cette faible protection est à l’image des moyens employés dans cette aire urbaine. Outre les problèmes de la situation basse de l’île, le climat est défavorable. L’inondation de 1824 n’est pas le fait d’un évènement isolé, mais de vents d’ouest et du sud-ouest plus forts qu’à l’accoutumée, rendant le delta plat vulnérable[3]. En résulte une catastrophe sans précédent depuis 1777. Berelowitch et Medvekova précisent que la montée des eaux devient préoccupante à partir de 3-4 pieds (soit environ 1 mètre), sérieuse avec 6 pieds (1,80 mètre), et désastreuse au-dessus de 7-8 pieds. Cette crue a permis l’élévation des eaux à 13 pieds et 7 pouces, soit 4,14 mètres[4].

Figure 28. L’inondation de 1824 d’après l’encyclopédie Brockhaus et Efron.

Figure 30. L’inondation de 1824 d’après l’encyclopédie Brockhaus et Efron.

En 1890, une encyclopédie publie une carte de la ville qui montre les secteurs inondés[5]. Il est remarquable que les trois quarts de la cité soient couverts par la crue. Seuls les quartiers de la Nativité, de la Fonderie, du monastère Alexandre-Nevski et une partie de celui de Moscou sont épargnés. Vyborg et Okhta sont relativement peu touchés même si les côtes subissent une inondation relative. L’île Vassilievski, de Pétersbourg et l’Amirauté, par leur proximité avec le golfe de Finlande et la bouche de la Neva, sont les plus durement impactés. Dans sa thèse, Randall Dills s’appuie abondamment sur les descriptions écrites par les témoins de la catastrophe comme celle de Samuil Aller[6]. Ce qui est intéressant, dans l’œuvre d’Aller, c’est qu’en conclusion il mentionne les rues en indiquant en pieds et en pouces la hauteur qu’atteint l’eau pour chacune d’entre elles[7]. En tout, c’est 325 artères qui sont répertoriées par Aller et, grâce à la légende de Savinkov, 279 sont repérées sur la carte, soit 75 % de celles énoncées par le descripteur. Certaines ont changé de nom et Savinkov n’indique parfois pas les petites ruelles, mais avec trois quarts des rues, il est possible d’avoir une estimation de la situation.

Figure 29. Hauteur de la crue de 1824, par rue, d’après Samuil Aller (du blanc au bleu foncé, soit de 0 à 13 pieds).

Figure 31. Hauteur de la crue de 1824, par rue, d’après Samuil Aller (du blanc au bleu foncé, soit de 0 à 13 pieds).

Aller, dans son récit, indique le point le plus haut et le plus bas de l’inondation. Dans un souci d’homogénéité, la figure 32 montre le point maximal qu’atteint la crue dans chaque avenue pour analyser l’importance de l’incident. Les données montrent que l’espace le plus impacté est l’île Vassilievski ce qui n’est guère surprenant. Toutefois, la hauteur maximale est répertoriée dans le sud-ouest, dans le quartier Narvskoi avec 13 pieds. Une exception puisque sur les 23 avenues où l’eau est montée au plus haut, 22 sont situées sur les îles Vassilievski et Pétersbourg. Ce qui est dommageable, car en 1804, d’après la carte de Savinkov, les bâtiments de ces arrondissements sont dans une large majorité en bois. Il est peu probable que la situation ait changé en 1824, puisque le développement de ces deux secteurs n’a jamais été une priorité. Il est également remarquable d’observer que les quartiers est ne sont aucunement atteints. Précédemment, nous évoquions les facteurs géographiques de ces espaces qui sont, dès la création de Saint-Pétersbourg, protégés par des collines qui les exemptent des crues. Force est de constater que même l’inondation la plus importante a eu peu d’effet sur ces espaces.

Les quatre quartiers de l’Amirauté sont inondés, mais plus faiblement que ceux du nord, alors que certains lieux sont géographiquement proches de certaines ruelles durement frappées. La crue dépasse sept pieds dans quatre artères de l’Amirauté. Il est possible que l’inondation, venant du nord-ouest, soit moins puissante une fois sur les quais de l’Amirauté. Il ne faut pas minimiser l’importance de la crue dans les quartiers de l’Amirauté, qui est la troisième zone la plus inondé d’après les données. Les espaces influents les plus meurtris sont les lieux économiques comme l’est de Vassilievski et l’Amirauté, où les élites de la capitale y ont leurs maisons.

[1] Robert E. Jones, Bread upon the Waters: The St. Petersburg Grain Trade and the Russian Economy, 1703-1811, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2013, p. 10.

[2] Randall Dills, « Cracks in the Granite: Paternal Care, the Imperial Façade, and the Limits of Authority in the 1824 St. Petersburg Flood », Journal of Urban History, vol. 40, n° 3, mai 2014, p. 488.

[3] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 301.

[4] Ibid.

[5] F.A. Brockhaus et I.A. Efron, Brockhaus and Efron Encyclopedic Dictionary: Volume XXVIIIА (56), St. Petersburg, K.K. Arsen’ev and E.E. Petrushevsky, vol. 86, 1890, p. 304.

[6] Samuil Aller, Opisaníe navodneniya, byvshago v Sanktpeterburge 7 chisla noyabrya 1824 goda, Saint-Petersbourg, Popular Education Department Printing Office, 1826, 270 p.

[7] Ibid., p. 223 à 236.

Le Pétersbourg des années 1830 : une lente reconstruction

Si l’inondation de 1824 s’attaque physiquement à Saint-Pétersbourg, plusieurs hypothèses sont possibles sur le degré des dégâts. Si les quartiers de l’Amirauté sont parmi les trois secteurs les plus inondés, les bâtiments sont en majorité construits en pierre qui est plus résistante que le bois, utilisé dans les zones vulnérables comme Vassilievski et l’île de Pétersbourg. Ainsi, après une telle catastrophe, il est plausible de s’attendre à ce que le contexte favorise une transition rapide du bois vers la pierre. Le SIG est utilisé ici pour comprendre comment la cité s’est reconstruite, mais aussi pour repérer les zones qui souffrent de l’inondation de 1824 et de la crise du choléra qui suit.

Figure 30. Pourcentage de bâtiments en pierre par district en 1836.

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Le ministère de l’Intérieur de l’Empire russe compile en 1836 des statistiques sur la capitale impériale[1]. L’Amirauté une, deux et trois se succèdent du nord au sud, alors que la quatrième est localisée à l’ouest de cette presque-île. La première Amirauté a 100 % de son bâti en pierre, tandis que la deux et la trois sont au-dessus de 90 %. Cependant, la situation se détériore dans la quatrième Amirauté puisqu’environ 50 % des édifices sont en bois. Est-ce la conséquence des inondations ? Difficile de l’estimer, mais ce quartier est proche des points névralgiques des crues. De plus, la carte de Savinkov, en 1804, laisse sous-entendre que l’intégralité des constructions de cette zone sont, à l’époque, de pierre et de bois. Donc, il est possible que vers cette transition du 100 % pierre, l’inondation de 1824 ait forcé un statu quo. Ce constat est également valable pour Pétersbourg et Vassilievski. Respectivement, elles ont 6,86 % et 30,33 % des constructions en pierre. À part les trois premières Amirautés, aucun arrondissement ne dépasse les 50 %. Ce qui laisse imaginer qu’en dehors du centre, Saint-Pétersbourg est une ville où le bois prédomine.

Si le cœur semble avoir gardé son apparence esthétique intacte, la situation hygiénique se dégrade. Dans son analyse sur l’insalubrité à Paris, suite à la Révolution française, Maurizio Gribaudi énumère les différents espaces qui peinent à maintenir de bonnes conditions sanitaires : les sols bas, proches de la Seine, les rues étroites, densément peuplées[2]. La carte suivante met en évidence trois espaces insalubres, conséquence d’une variété de facteurs qui rappellent les symptômes de la ville lumière.

Figure 31. Trois espaces insalubres : le quartier des galères, la place St. Isaac, la place Sennaia (de gauche à droite).

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Ainsi, si l’inondation n’est pas directement responsable d’une baisse des conditions sanitaires, les espaces précaires se multiplient et le centre, si protégé depuis le début, n’échappe pas à la règle. L’eau, sa distribution et son utilisation sont une problématique qui ne peut que prendre de l’ampleur puisqu’elle est l’un des moyens de transmission du choléra qui frappe la ville en 1831. Cette maladie, originaire d’Asie orientale et connue en 1817, atteint la Russie en 1830 et la capitale française en 1831. À Paris, le choléra fait 18 402 décès en quelques mois et n’épargne aucun quartier[3]. Cependant, un rapport sur le choléra et sa mortalité explique qu’à Paris les victimes se trouvent autant sur des terrains bas, proche des rivières, que dans des espaces élevés et aérés. Le dénominateur commun, selon Gribaudi, est la misère et les problèmes d’approvisionnement en eau[4]. Des symptômes remarquables à Saint-Pétersbourg. En effet, la cité est en piteux état bien que la représentation cartographique laisse entendre un retour à la normale. En effet, l’inondation de 1824 et les crues suivantes prolongent les difficultés avec le difficile pavage des avenues, les quais et les ponts en reconstruction permanente lorsque le choléra atteint la capitale[5].

Figure 32. Le point d’origine de l’épidémie et les hôpitaux dédiés au choléra en 1831 (d’après Barabanova et Kraikovski).

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Barabanova et Kraikovski partagent une carte représentant les hôpitaux qui combattent le choléra[6]. La dispersion des institutions médicales laisse présager que l’épidémie s’est déclarée à travers la ville entière. Le virus frappe vite et fort. Du 14 juin 1831 au 5 novembre 1831, 9 245 personnes sont infectées et 4 757 en succombent[7]. L’arrivée du choléra dans la capitale s’est effectuée de l’intérieur du pays. Comme mentionné auparavant, l’épidémie s’est propagée depuis l’Asie orientale et touche l’Occident à partir des années 1830. Moscou est atteinte cette même année[8]. Le choléra se déplace discrètement et, probablement, par les bateaux de commerce. C’est ainsi que le choléra s’infiltre dans la capitale[8]. Le premier patient à être mort de la maladie est répertorié dans le quartier Rojestvenskoi, celui de la Nativité[9].

[1] Andrey Parfenovich Zablotskiy-Desyatovskiy, Statisticheskiye svedeniya o Sanktpeterburge, Sanktpeterburg, v Guttenbergovoy Tipografii, 1836, 291 p., https://bit.ly/33aZ1F4, (consulté le 17 mars 2020).

[2] Maurizio Gribaudi, Paris, ville ouvrière: une histoire occultée, 1789-1848, Paris, La Découverte, 2014, p. 26.

[3] Ibid., p. 75.

[4] Ibid., p. 78

[5] Kseniya Barabanova et Alexei Kraikovski, « The management of cholera epidemics and the Neva River in St. Petersburg in the nineteenth century », Water History, vol. 10, n° 2‑3, septembre 2018, p. 172-173.

[6] Ibid., p. 173.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[8] Ibid., p. 166.

[9] Ibid p. 173.

Conclusion

Saint-Pétersbourg, à l’orée de la Révolution industrielle est dans un état précaire. Le SIG a montré que les trois-quarts de la capitale subissent l’impact de l’inondation de 1824. Cette forte crue a confirmé les disparités géographiques de la cité, déjà connues au début du XVIIIe siècle. L’est de la ville est protégé par ses caractéristiques territoriales. Toutefois, les points névralgiques sont inondés, mais cela est la responsabilité des autorités qui savent, depuis plus d’une centaine d’années, que les fondations importantes résident dans des espaces à risques.

L’état du bâti après l’inondation semble être similaire à celui du début du siècle. La carte de Savinkov en 1804 représente l’Amirauté comme intégralement en pierre et les arrondissements environnants comme encore partiellement en bois. Les données de 1836 cartographiés donnent une image similaire. À part l’amirauté, aucun des autres districts n’a progressé. Ce statu quo est possiblement une conséquence de l’inondation qui endommage 47 % du bâti, qui demande à être réparé. Et c’est probablement une des raisons de la stagnation d’autres problématiques comme la qualité de l’eau, qui est un problème régulier. L’état de la cité entraîne une exacerbation des péripéties qui en entraînent d’autres, comme la propagation du choléra, qui profite de la mauvaise structuration de Saint-Pétersbourg, pas encore remis physiquement de la crue de 1824. Saint-Pétersbourg, qui s’apprête à voir son économie se transformer par la croissance du capitalisme, est en 1835 dans un état similaire à celui de 1804.