Saint-Pétersbourg : analyse cartographique et géographique de l’évolution urbaine aux XVIIIe et XIXe siècle.

Par Anthony Trouilhas

 

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Introduction

En histoire, les Systèmes d’Information Géographique (SIG) sont une innovation capable de repenser les conclusions, de poser de nouvelles questions, d’engager une recherche pluridisciplinaire. Un SIG pourrait venir apporter de nouvelles interprétations, ou a minima, repérer des phénomènes spatiaux n’ayant pas encore fait l’objet d’étude. L’historienne Anne Kelly Knowles croit que l’utilisation d’un SIG permet de réexaminer d’une manière pluridisciplinaire les analyses passées. Un SIG historique ambitionne de situer l’histoire dans son contexte géographique en utilisant les caractéristiques spatiales pour interpréter le passé[1]. Mes réflexions se sont précisées à la suite d’une émission de la British Broadcasting Corporation (BBC) intitulée The Beauty of Maps. Dans un extrait, est pris en exemple la carte de Londres, publiée en 1682 par William Morgan[2]. Le document paraît après l’incendie de 1666 qui dévaste une grande partie de la capitale anglaise. La carte de Morgan est censée montrer comment Londres s’est reconstruite suite à cette catastrophe en faisant, d’après le documentaire, la première carte « moderne » de Londres. La source donne espoir et confiance et montre Londres rebâti de manière organisée. Toutefois, la réalité intérieure de la ville est différente que celle montrée par la carte : zone en désordre, prison ignorée, problème sanitaire et de surpopulation. C’est à ce moment que l’utilisation d’un SIG devient pertinente, car il permet d’apporter des informations nouvelles sur des aspects, parfois volontairement, ignorés.

L’objet d’étude du mémoire s’articule autour de la fondation de Saint-Pétersbourg, et de son évolution, jusqu’à la veille du XXe siècle. L’histoire de Saint-Pétersbourg commence dans un marais au cœur de l’estuaire de la Neva. Terre suédoise cet espace est conquis par le tsar Pierre le Grand en 1703 qui entreprend la création d’une ville qui deviendra la capitale de la Russie impériale. L’objectif de cette entreprise colossale : donner une image moderne d’un empire qui reste à l’extérieur des problématiques des grandes puissances européennes[3]. Saint-Pétersbourg s’installe comme une puissance urbaine européenne : cette ville qui n’existe pas au début du XVIIIe siècle dépasse Moscou au début du XIXe. Pourtant, rien ne laisse présager que le rêve de Pierre sera un succès. L’espace choisi, la composition des sols, les choix urbains, les inondations, les feux, la révolution industrielle sont autant de facteurs qui peuvent remettre en cause un projet.

Problématique

L’historiographie, occidentale, de Saint-Pétersbourg utilise peu les sources cartographiques. Seul le géographe James Bater, en 1976, centre son analyse autour des cartes pour comprendre l’adaptation urbaine de Saint-Pétersbourg à la révolution industrielle. La science des cartes pétersbourgeoises est donc un sujet relativement peu étudié. D’une manière comparable à Bater, le mémoire propose de réfléchir à l’adaptation de cette nouvelle aire urbaine dans l’espace et d’analyser l’évolution de la ville. Les réflexions sur les SIG, le contexte de Saint-Pétersbourg et l’exemple londonien permettent l’élaboration des questions de recherches suivantes : Quelles représentations, six cartes de Saint-Pétersbourg, entre 1721 et 1894, donnent-elles de la capitale impériale russe ? Quelle importance la géographie, de l’estuaire de la Neva, a-t-elle eu dans l’établissement de la ville nouvelle et dans l’organisation territoriale de la cité ? Deux thèmes seront récurrents, parfois enchevêtrés, au fil de la démonstration : les phénomènes géographiques et la répartition spatiale de la cité sur les plans administratif et économique.

L’objectif est double. D’abord, comprendre la cartographie de la cité. Ces sources sont des représentations, qui, au sein d’un pouvoir autocratique peuvent être manipulé à des fins de propagande par exemple. Et puis, comprendre l’urbanisme dans l’espace à travers le SIG. C’est-à-dire, étudier Saint-Pétersbourg sous l’angle de la géographie historique telle que définie par le géographe Québecois Serge Courville : « la géographie historique est donc une étude géographique du passé, mais une étude où les méthodes de la géographie se conjuguent à celles de l’histoire pour produire une donnée nouvelle qui pourra mieux permettre de saisir les réalités humaines d’autrefois[4] ». Cette dernière met en relief le cœur de l’étude qui est de comprendre comment l’environnement de Saint-Pétersbourg influence l’urbanisme et la vie quotidienne des habitants de la cité.

Hypothèses

On postule que les sources possèdent des biais qui diffèrent selon les époques ; que durant la domination de Pierre le Grand, une carte n’est pas une description de la cité, mais une projection future ; qu’à la fin du XVIIIe siècle, la cartographie de Saint-Pétersbourg adopte une position faisant la promotion d’une ville sécuritaire malgré les catastrophes qui touchent la cité ; que dans la deuxième partie du XIXe siècle, la cartographie possède des failles sur les possibles conséquences urbaines et sanitaires provoquées par la révolution industrielle.

Pour ce qui touche à l’interprétation urbaine de la cité, en lien avec les thématiques énoncées, le postulat est que la géographie, la composition des sols, mais aussi le caractère de la Neva, prennent le dessus sur l’établissement de la cité, dictant ainsi la politique urbaine. C’est à cette dernière de s’adapter à l’environnement et pas l’inverse, ce qui a pour conséquence la circonscription de la cité dans un espace restreint. L’administration, en privilégiant la planification du centre-ville d’une manière élitiste, pour parfaire l’esthétique de la ville, perd progressivement le contrôle de l’urbanisme périphérique, ce qui entraîne des disparités sanitaires importantes.

Structure

Six cartes – toutes orientées vers le nord – sont utilisées pour réaliser ce mémoire. Elles sont disponibles dans deux banques de données. La Bibliothèque nationale de Russie (BNR), qui comporte une section regroupant la cartographie de Saint-Pétersbourg, et la Bibliothèque nationale de France (BNF), à travers ses archives numériques sur Gallica. Chacune des cartes ouvre ou ferme une période d’un chapitre.

Le mémoire est en trois parties qui sont intrinsèquement divisées en deux sections. Le premier chapitre revient sur l’établissement de la cité et son adaptation au territoire. Des premières décisions drastiques de Pierre le Grand à l’émergence d’une commission en 1737 pour réformer l’urbanisme de la cité. Dans un second temps, l’étude analysera le lègue de l’impératrice Catherine II et ses réalisations qui élèvent la capitale au rang de grande cité occidentale à la fin du XVIIIe siècle. En opposition à cette vision de grandeur, le mémoire étudiera les difficultés qui continuent de rendre l’espace instable et imprévisible durant la même période. Enfin, la dernière partie du mémoire sera axée sur la répartition spatiale de la révolution industrielle, en seconde moitié du XIXe siècle, et de ses conséquences sur la capitale et ses habitants.

Références

[1] Anne Kelly Knowles (dir.), Past time, past place: GIS for history, Redlands, ESRI Press, 2002, p. 3.

[2] The Beauty of Maps, 26 Avril 2010, enregistrement video, British Broadcasting Corporation, 5min 15, https://www.youtube.com/watch?v=CtaWEiK77TI.

[3] James H. Bater, St. Petersburg: Industrialization and Change, Londres, Edward Arnold, 1976, p. 2.

[4] Serge Courville, Introduction à la géographie historique, Québec, Presses Université Laval, 1995, p. 6-7.