Saint-Pétersbourg : analyse cartographique et géographique de l’évolution urbaine aux XVIIIe et XIXe siècle.

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Conclusion

L’évolution de Saint-Pétersbourg à travers la cartographie permet d’interroger la géographie de l’aire urbaine : pourquoi choisir l’île de Vassilievski comme centre-ville ? Comment la Neva est-elle utilisée au profit de la cité ? Pour quelles raisons la ville ne s’étend pas en 200 ans ? L’éventualité de construire un SIG apporte également un questionnement. Une carte ne vise pas à montrer les défauts. Les sources iconographiques ont leur limite, mais une analyse peut déterminer si une idéologie vient influencer les représentations. Un SIG a cette capacité à faire apparaître les données, sous-jacentes, qui facilitent la compréhension de certaines évolutions. Le territoire de Saint-Pétersbourg offre des perspectives favorables. Il est jonché d’interrogations plus que de certitudes. L’histoire de la cité a prouvé qu’elle n’était pas imperméable à sa géographie. Ces facteurs ont été synthétisés sous les problématiques suivantes : quelles représentations, six cartes de Saint-Pétersbourg, entre 1721 et 1894, donnent-elles de la capitale impériale russe ? Quelle importance la géographie de l’estuaire de la Neva a-t-elle eue dans l’établissement de la ville nouvelle et dans l’organisation territoriale de la cité ?

Le chapitre un revenait sur Saint-Pétersbourg et les premières ambitions entre 1721 et 1753. L’objectif était d’observer la première assise urbaine. L’analyse des cartes révèle la fantaisie des projections. En 1721, Pierre le Grand régit la construction de la cité et sa représentation. Les graveurs sont sous l’influence du souverain et les sources décrivent le Saint-Pétersbourg dont rêve le tsar. Le SIG montre que les documents sont utopiques et que les développements présentés sont loin d’être réalistes. Aussi, le SIG partage les péripéties géographiques qui jonchent l’environnement. Trois quarts de la ville est inondables et le tsar projette de bâtir son paradis dans des zones instables. La Neva est problématique par ses rapides et ses bas-fonds. Certains espaces nécessitent des pilotis, comme les quais de l’Amirauté et la forteresse Pierre-et-Paul. L’est de la capitale est à l’abri des crues, mais les sols sont incertains. Presque l’intégralité de Saint-Pétersbourg est soumise à un territoire désavantageux. Alors que la cartographie, visionnaire, sous-entend qu’aucune géographie ne viendra se mettre sur la route des ambitions de Pierre le Grand.

En 1753, la cartographie est plus réaliste et partage une représentation détaillée de la capitale pour son cinquantième anniversaire. Une carte donne la part belle à l’île de Pétersbourg et laisse envisager que l’île Vassilievski est en cours de développement. Les projets de la ville, à l’initiative de la commission de 1737, priorisent l’Amirauté et sa relation avec l’est de Vassilievski. Ces deux secteurs, d’importance économique, sont reliés par le premier pont, qui est non permanent. Ces espaces sont épurés de leurs signes ruraux. Donc, malgré l’unicité cartographique, une ségrégation de classe s’effectue. La géographie ne semble pas produire de différence toutefois. Même si les projets de Pierre le Grand sont laissés de côté, la carte de 1753 est une actualisation de celle de 1721, plus réaliste, tout en ayant des exagérations.

Le chapitre deux fait le point sur l’héritage de l’impératrice Catherine II dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et son adaptation aux conditions géographiques. La carte de 1804, gravée par Savinkov, met en exergue la transformation du centre-ville, qui s’est solidifié par les constructions en pierre. Cette impression est renforcée par la présence du granite qui borde les quais des canaux de l’Amirauté, priorisé par rapport aux autres arrondissements. Le granite a la double fonction de magnifier la beauté esthétique, primordiale dans la réputation de Saint-Pétersbourg, et il serait également efficace face aux inondations. Les canaux doivent faciliter une évacuation rapide des eaux suite aux crues. L’héritage de Catherine II, c’est aussi la mise de côté de zones précédemment influentes. L’île de Vassilievski, par exemple, n’a pas évolué. Le SIG a montré qu’un marécage se situe au milieu de l’île. Un autre est également présent en 1721 dans l’est. Toutefois, en 1804, les quartiers de la Nativité et de Litenoi continuent de grandir puisque protégés par des sols plus hauts. Ce qui handicape la croissance, de Vassilievski, c’est que le terrain est bas et trop exposé aux inondations. Tant qu’aucune solution aux crues récurrentes ne sera trouvée, comment espérer un développement à court terme de cet espace ? Un jugement similaire peut être fait pour l’île de Pétersbourg, qui est passée d’une île fortement bâtie, d’après la carte de 1753, à une zone à moitié vide en 1804.

L’inondation de 1824 a confirmé la vulnérabilité de certains espaces. Vassilievski et Pétersbourg, pas leur situation, sont les premières victimes. Excepté la digue de terre dans le quartier des galères, aucune protection d’envergure ne ralentit la montée des eaux la plus importante de la ville. L’Amirauté est le troisième secteur où la crue est montée le plus haut, en moyenne. Cependant, cet arrondissement, étant l’espace d’habitation de l’élite et la couronne, bénéficie de la planification et des édifices en pierre. Les données du patrimoine bâti démontrent qu’en 1836, les Amirautés une, deux et trois sont les seuls districts de la ville ayant plus de 50 % de leurs constructions en pierre. Les quartiers sud et du centre est profitent également plus de la pierre que l’île de Pétersbourg et les zones isolées comme Okhta et Vyborg. On assiste à un changement de paradigme. Initialement, les espaces du nord ont les faveurs du tsar pour fonder la nouvelle Amsterdam. Au fil du temps, la planification et la solidification de l’Amirauté semblent permettre aux quartiers à proximité de bénéficier de ce dynamisme. Toutefois, Saint-Pétersbourg se remet longuement de l’inondation de 1824. Aucune réforme n’est envisagée cette fois-ci. La lenteur de la reconstruction propage les mauvaises conditions sanitaires. L’eau est d’une qualité insuffisante au milieu des années 1830 et l’arrivée du choléra définit Saint-Pétersbourg comme une ville insalubre, alors que la cartographie de Savinkov lui donne un aspect sécuritaire. C’est la force d’un SIG. La source de Savinkov étant une publication gouvernementale, la réalité, tirée des monographies, montre des faiblesses dans différents secteurs de la capitale. La représentation sécuritaire de la carte est mise à mal par les inondations, le choléra et des conditions de vie dans une cité ou 46 % des bâtiments ont été endommagés par la crue de 1824.

Le chapitre trois a analysé l’évolution de Saint-Pétersbourg dans la réalité de la révolution industrielle entre 1852 et 1894. Cette période accentue la différence nord-sud. Cet effet est nuancé par la pointe est de l’île Vassilievski, qui voit son influence perdurer par la présence d’institutions : bourse, douane, académie des Sciences. Un premier pont, cette fois permanent, joint Vassilievski et l’Amirauté au milieu du XIXe siècle. Jusque-là, toutes les passerelles étaient retirées l’hiver pour éviter le gel de la Neva. Preuve que la ville a du mal à conquérir son territoire. La distribution des entreprises est aussi limitée sur Vassilievski, malgré la présence du port. Mais la situation est pire sur l’île de Pétersbourg, et les arrondissements d’Okhta et Vyborg. On peut se questionner pour quelle raison l’île de Pétersbourg fait partie de la zone de restriction industrielle — probablement pour la forteresse Pierre et Paul. Toutefois, ce genre de décision nuit au dynamisme de ce district. Même chose pour l’île de Vassilievski, dont les autorités espèrent faire déménager le quartier de galères plutôt que de trouver une parade aux inondations. Problème : les habitants de ce quartier, à la croissance naturelle, envisagent une modernisation plus qu’une relocalisation au cœur du marais. Le nord stagne dans les ennuis géographiques, tandis que le sud voit l’émergence d’innovation : présence d’une gare et navigation sur le canal Obvodnyy pour accéder au golfe de Finlande en évitant la Neva. La conjoncture économique étant négative, l’impact de ces nouveautés sera limité. Mais dans une période d’exode rural, suite aux réformes de 1861, la croissance démographique va continuer de favoriser le sud de Saint-Pétersbourg.

La capitale russe a la réputation d’être clairsemée, comme si le territoire était trop grand, forçant Saint-Pétersbourg à se concentrer sur le centre-ville pour cultiver l’image internationale. Dénuée de certitudes, l’administration a historiquement solidifié l’axe pour se placer entre le projet de Pierre le Grand et la création d’une ville capable de perdurer. Le sud de la cité, naturellement moins à risque, mais plus éloignée du projet initial, est alors le récipiendaire de cette politique, en recevant des activités économiques et accueillant les nouveaux Pétersbourgeois. La croissance démographique explose rapidement, ce qui a pour conséquence de surpeupler les quartiers comme Moscou, Narvskoi, et Alexandre Nevski. La carte ne le montre pas, car une limite de la représentation est atteinte. Désormais les habitations sont sur plusieurs étages, ce qui diminue visuellement l’impact de la surpopulation et n’augmente pas la superficie. Par la proximité avec l’Amirauté, ces districts bénéficient d’un accès à l’eau et aux toilettes, mais dans une certaine mesure,  les services restent inférieurs au centre-ville. Par exemple, les opportunités de mobilité sont insuffisantes, dans toute la ville. Les conditions sont pires dans le nord, avec peu de services et le transport y est moins dense. Il est surprenant que Toronto et Saint-Pétersbourg aient un réseau de transport équivalent dans les années 1890, alors que la capitale russe possède plus d’un million d’habitants et la cité canadienne 144 000.

Les activités économiques sont dynamisées au sud par l’apparition d’un port. L’ancien étant dans l’ouest de Vassilievski. Ce projet s’ajoute au nouveau chenal creusé dans le golfe de Finlande pour enfin permettre aux bateaux à fort portage d’entrer dans la ville. Ce qui était impossible à cause des bancs de sable. Ce travail pharaonique tient une dizaine d’années avant d’échouer, à cause des déplacements naturels des sols. Ainsi, le chenal est un échec, mais le port est une réalité. Conjugué au canal Obvodnyy et aux quatre gares présentes cet espace devient la première zone mercantile de la cité au détriment de l’axe Vassilievski-Amirauté. Saint-Pétersbourg cherche à modifier son environnement pour en profiter financièrement.  Toutefois, ces transformations arrivent tardivement, car l’économie nationale et les innovations ferroviaires ont limité l’avantage initial de Saint-Pétersbourg : être la fenêtre sur l’Europe en donnant accès à la Baltique.

Le SIG joue un rôle éminent dans la démonstration. L’historiographie de la cité ne donne pas une place décisive à la géographie. Quand Saint-Pétersbourg est évoqué, le plus souvent, c’est pour son impact international, son architecture. Son territoire est étudié, mais le manque de représentations cartographiques ne permet pas, à mon avis, de bien comprendre la spécificité de ce territoire et de rendre compte de l’évolution de l’espace urbain. Par exemple, lorsqu’un pont apparaît sur le plan de 1753 et que, grâce aux monographies, on apprend que ce n’est pas une passerelle permanente, cela démystifie la source. Un SIG a cette capacité de venir déconstruire une carte en apportant des informations complémentaires. Le canal Obvodnyy joue un rôle qui est assez minimisé dans l’historiographie. En effet, à la fin du XIXsiècle, Saint-Pétersbourg est une ville soumise à la conjoncture géographique. Elle a été incapable d’appréhender son territoire. Ces péripéties ont handicapé Saint-Pétersbourg et lorsque celle-ci semble avoir eu une stratégie efficace pour donner à cette ville un vrai pôle hors du centre-ville, l’économie n’est pas profitable. Toutefois, dans la première partie du XVIIIe siècle, l’occupation du territoire se fait selon les objectifs de Pierre le Grand. Les stigmates s’en ressentent tant qu’aucun souverain ne prend le risque de dévier du projet providentiel de Pierre. Sous Catherine II, la ville comprend l’inutilité d’insister sur les espaces à risque. De nouveaux travaux sont envisagés : un débarcadère dans l’est de la cité pour le marché intérieur et la création du canal Obvodnyy. C’est à partir de sa fondation que le sud va inverser le paradigme et connaître une recrudescence d’activité comparativement au nord. Jusque-là, la capitale se concentrait sur le développement de l’Amirauté pour dorer sa réputation. L’impact du canal Obvodnyy ne se fera sentir que dans les années 1840, lorsque son fond sera creusé pour supporter le passage des navires. Pour Catherine II ce cours d’eau représentait un atout de plus dans l’évacuation des crues. Finalement, les réalisations de Catherine II ont changé l’image de Saint-Pétersbourg d’une manière supérieure à celles de Pierre le Grand.

Le SIG facilite la compréhension des facteurs géographiques : marécage, inondation, problèmes sanitaires, distribution des services. La cartographie seule ne permet pas d’évaluer pourquoi ces espaces n’évoluent guère. Les monographies donnent les informations sans les replacer sur le territoire. Le SIG combine les deux et rend l’analyse de Saint-Pétersbourg plus aisé. Ainsi, la géographie a un rôle prééminent dans la structure de Saint-Pétersbourg. L’urbanisme doit continuellement s’adapter aux spécificités des sols, à la Neva, aux crues, aux marais. Bien que la cartographie, largement au service de l’empire, promeuve une ville solide, sécurisée, propre, dénuée de tout danger, la réalité historique est tout autre. Le projet de Pierre le Grand, d’établir une nouvelle Amsterdam, a échoué. Le temps montre que les endroits initialement pensés pour accueillir l’entreprise pharaonique sont trop à risque. L’évolution urbaine de Saint-Pétersbourg, entre le XVIIIe et le XIXe siècle, est la conséquence d’un environnement ayant pris le pas sur l’homme.