Chapitre 2

L’urbanisme au défi de la nature

L’empreinte de Catherine II

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Du bois à la pierre

S’inspirant de Pierre le Grand, puis de la commission de 1737, Catherine II fonde sa propre entité. Une nouvelle commission de planification se voit confier la responsabilité des projets urbains de la cité jusqu’à sa dissolution en 1796[1]. Cette initiative tient plus de l’idéologie modernisatrice, car l’initiative de 1762 va impliquer les autres villes russes dans le processus. On parle ici de l’obligation d’avoir un trident, des artères larges et droites, les maisons doivent être alignées et bâties des deux côtés, ayant l’air d’une façade unique[2]. Cette philosophie vient des envies de l’impératrice de faire de Saint-Pétersbourg un modèle pour le reste de la Russie. Le nouveau plan de la ville prévoit des travaux pour doter le centre-ville de constructions régulières en pierre avec, pour les grands édifices, la priorisation des styles néoclassique et antique[3]. Ce qui représente un changement majeur dans le style de la cité qui est précédemment axé vers le baroque[4]. Cette obsession du paraître est un héritage de Pierre le Grand. Catherine II exerce son pouvoir en ayant à l’esprit d’impressionner, de faire briller la capitale pour la cour et la noblesse[5]. Preuve en est la transformation des canaux du centre-ville qui se voient bordés de part et d’autre de quais en granit, de lumières, d’expansion de zones pavées, d’un système d’égout[6].

Certaines décisions sont prises au détriment de la population. Par exemple, la limitation de différents types d’activités économiques pour les paysans et les basses classes de la cité, ou l’expulsion des sans-emplois. Cette rigidité tend à nuire au développement naturel de l’urbanité[7]. Si Catherine utilise la pierre, durant les années 1790, plusieurs secteurs sont encore en bois[8]. Catherine poursuit le travail initié par Pierre le Grand et la commission de 1737. De par la longueur de son règne et la force qu’elle imprègne avec son pouvoir, la ville devient une des plus importantes d’Europe. Il est donc probable que la cartographie de Saint-Pétersbourg, au tournant du siècle, soit à l’image de la puissance de Catherine II.

La carte de Savinkov

La carte est réalisée par le Russe Alexander Savinkov[9]. La source est décrite par la Bibliothèque nationale russe comme une représentation administrative de la cité en 1796. L’institution précise que Savinkov travaille pour le Dépôt de Cartes de Sa Majesté Impériale créé en 1797 par le successeur de Catherine II, le tsar Paul 1er. Ce dernier centralise les archives et travaux cartographiques de l’époque sous une même bannière[10]. Cette nouvelle entité implique la création d’une section de huit graveurs dédiés à la cour[11]. Avec ces nombreux plans, de la Russie et de Saint-Pétersbourg, il est probable que Savinkov fût un membre des huit cartographes en question. Avec ces considérations, une source de Savinkov peut être biaisée puisque son travail est commandé par le tsar lui-même.

La carte est plus qu’une image de Saint-Pétersbourg puisqu’elle comporte une légende intéressante. En effet, sont notés en rouges, gras, les bâtiments de pierres. Ceux en rouges moins intenses sont de pierre et de bois. Les jaunes représentent le bois. Ce genre de représentation est semblable à un plan d’assurance incendie. La production de ces sources émerge en Angleterre au début du XVIIIe siècle, et l’Amérique du Nord s’y spécialise au XIXe en utilisant couleurs et symbologies apportant des informations sur la structure physique des bâtiments[12]. La carte de Savinkov, de manière succincte, illustre un objectif similaire. Il est aisé de constater que le centre-ville est dans sa totalité construit en pierre et que plus on se dirige vers la périphérie, plus le bois devient la matière principale. Ce qui intrigue toutefois, c’est qu’au regard des cartes, l’occupation du territoire s’est réduite. L’île de Pétersbourg est à moitié déserte et la cité ne se développe pas hors des limites connues. Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer ce phénomène : un déclin démographique, une représentation cartographique plus fidèle à la réalité.

Figure 20. Aleksandr Savinkov, « Plan Peterburga 1804 goda Savinkova », 1804, https://bit.ly/2Ez1EXO. (Consulté le 4 novembre 2019).

La présence de couleurs oblige à les considérer dans l’analyse de la source. Une carte avec des symboles doit remplir quelques bases : avoir un message discernable, partager une description précise des données, ne pas induire en erreur, attirer l’observateur sur l’élément le plus important[13]. Ces critères semblent s’inscrire dans le travail de Savinkov à une exception. Il faut partir du principe que le rouge gras indique des bâtiments en pierre, qui, d’après l’histoire de la cité, risquent moins d’être sujet à incendie. Alors que les constructions en jaune sont vulnérables. Mais qu’en est-il de celles simplement rouges, correspondant à des édifices de pierre et de bois ? S’ils représentent une zone de sécurité intermédiaire, il faut être prudent quand plusieurs couleurs sont utilisées, car elles ne reflètent aucune valeur exacte, ce qui peut induire en erreur[14]. La déclinaison de rouge apporte une confusion puisqu’elle laisse entendre une domination de la pierre sur le bois sans préciser le pourcentage de chacun. L’humain est naturellement interpellé par les couleurs de base, comme le bleu et le rouge, et cette caractéristique peut être, dans certaines occasions, utilisée par les cartographes de propagandes[15]. Il faut donc rester suspicieux de certains critères qui, sur le document de Savinkov, peuvent renforcer le sentiment sécuritaire de la ville.

La structure urbaine au début 19e siècle

L’espace pétersbourgeois a son premier découpage administratif avant la moitié du XVIIIe siècle. Depuis, ce classement des quartiers connaît quelques modifications. Dans cette section. Le SIG a pour objectif de comprendre la division du territoire et d’expliquer pourquoi certains espaces ne profitent pas de la modernisation de Catherine II.

On constate l’émergence de nouvelles zones, au centre et à l’est de la cité. Selon Munro, il y a dix arrondissements en 1796[16]. L’Amirauté est divisée en trois parties. Au côté de la Fonderie naissent deux entités : le quartier des Carrosses et Coches et celui de la Nativité (Rojestvenskaia)Sont reconnaissables des quartiers existants : Vassilievski, l’île de Pétersbourg, Moscou, Vyborg et Okhta.

La fracture entre le centre et la périphérie perdure. La carte de Savinkov montre une planification moins soutenue dans les zones extérieures. La communauté historienne explique ces phénomènes de multiplication d’arrondissements et de faible densité. Le centre-ville observe une croissance de la population et une utilisation intensive de ces territoires[17]. Les quartiers extérieurs des Carrosses et Coches, de la Nativité, de la Fonderie, et de Moscou, représentent un quart des Pétersbourgeois[18]. Ces quartiers évoluent peu depuis la moitié du siècle dernier. La population est constituée de militaires et de petites gens[19], qui, en cinquante ans, ne connaissent pas de croissance démographique, faisant perdurer l’aspect rural de ces zones laissées de côté.

Figure 21. Arrondissements de Saint-Pétersbourg en 1804.
Capture18

L’est comprend des institutions éducatives, administratives et commerciales[1]. L’ouest de l’île est occupé par le quartier des galères qui abrite un faubourg de marins. Plus on se déplace vers l’ouest, plus les personnes vivent comme à la campagne et pauvrement[2].

[1]Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 172.

[2] George E. Munro, The Most Intentional City: St. Petersburg in the Reign of Catherine the Great, Plainsboro, Associated University Presse, 2008, p. 235.

La question est de savoir pour quelle raison ces deux espaces d’habitations, liés faiblement par le sud, sont coupés par une vaste zone. La réponse est simple : la présence d’un immense marécage[1]. Ce dernier subsiste probablement par dépit. En effet, l’île Vassilievski est basse, donc propice aux inondations, et le système d’évacuation d’eau est peu efficace[2]. Ainsi, la situation de ce quartier reflète celle de la ville après cent ans, et indique que le développement urbain n’a pas pris le pas sur la nature. Il est pensable qu’un constat similaire pour l’île de Pétersbourg soit faisable puisqu’elle est régulièrement menacée par les crues.

[1] Berelowitch et Medvekova, op, cit., p. 171.

[2] Munro, op. cit., p. 235.

Figure 22. L’île Vassilievski, ses habitations, son marécage en 1804. Veuillez appuyer sur les loupes pour de plus amples informations.

Cependant, les îles de Pétersbourg et Vassilievski ont des particularités. Premièrement, la différence de description de l’île de Pétersbourg entre la carte de Truscott et Makhaev en 1753, et Savinkov en 1804, est visible. Alors qu’elle est dense en 1753, elle est à moitié vide en 1804, sans bâtiment de pierre. Sur l’île de Pétersbourg, initialement considérée comme propice à l’établissement du centre-ville par Pierre le Grand, peu d’édifices subsistent de ces projets. Plus que les autres, ce quartier « historique » de la cité ne suscite aucune amélioration. Quant à l’île Vassilievski, la carte la dépeint telle qu’elle est : vide au milieu, habitée à l’ouest et à l’est. Cette île présente à elle seule les caractéristiques des ambitions de Pierre, avec les contraintes et la ruralité isolée, qui perdurent cent ans après la création de la cité.

Figure 22. L’expansion de la cité en 1737, d'après Rozman, sur la carte de 1804.

Figure 23. L’expansion de la cité en 1737, d'après Rozman, sur la carte de 1804.

Enfin, il importe de se questionner sur l’expansion de la cité suite après 1737. Gilbert Rozman explique que ces frontières urbaines n’évoluent pas avant la fin du siècle[20]. Le SIG montre qu’à certains endroits les limites de la capitale se sont réduites. La ville s’est certes rapidement construite et profite des commissions urbaines pour planifier le futur. Toutefois, jusqu’au XIXe, Saint-Pétersbourg ne s’agrandit pas vers l’extérieur.

À partir de 1737, la cité développe son centre et ce cap sera celui de Catherine II. Saint-Pétersbourg connaît alors une croissance de population importante puisqu’elle devient la ville la plus peuplée du pays avant le XIXe. Ce phénomène n’entraîne pas un élargissement de la ville. Cela s’explique par la présence d’une élite locale et étrangère. Selon le recensement de 1804, la noblesse et les fonctionnaires comptent pour 8,44 % des Pétersbourgeois et la bourgeoisie pour 12,74%[21]. Cela fait un cinquième de la population qui projette d’habiter au centre, ou du moins, proche des points névralgiques. À cela, il faut ajouter environ 40 000 étrangers – qui viennent majoritairement d’Europe de l’ouest – à la fin du siècle[22]. Leur nombre représente 15 %. Il se décline parmi les catégories comme les marchands et officiers et les activités des étrangers se déroulent dans le centre de la cité[23]. Ainsi, il est possible qu'environ un tiers des personnes cherche à se concentrer dans les quartiers importants, comme l’Amirauté et l’est de Vassilievski, une partie de la Fonderie. Une telle concentration pourrait avoir comme conséquence de laisser de grands espaces vacants en périphérie.

L'urbain au service de la beauté visuelle

Le règne de Catherine II s’accompagne d’une nouvelle réforme urbaine. Le rôle du SIG est de montrer les projets entamés sous l’impératrice. Ils permettront d’observer quels sont les chantiers prioritaires de Saint-Pétersbourg et les objectifs de tels accomplissements. Mais aussi d’interroger l’adaptation de l’urbanisme au territoire. La souveraine préconise, dans sa réforme, le style antique pour redéfinir la cité, tel Rome, et cette influence devient la base pour les villes de l’Empire[24]. À Saint-Pétersbourg, cette mode est symbolisée par l’aménagement des quais de granit dans le quartier de l’Amirauté. Cette matière réputée solide et durable — critère important dans un environnement comme Saint-Pétersbourg — est abondamment utilisée pour la construction de la Rome antique et cela jusqu’à la renaissance[25].

Figure 24. Les quais de Saint-Pétersbourg (1804). Le blanc représente le granit, le marron le bois, le noir l’absence de quai.

Quand Catherine II accède au trône, les principaux quais de la cité sont de bois. Lorsque la souveraine décède, la Fontanka, le canal Catherine, et les quais de la Neva sont construits à base de granit contribuant à magnifier les abords des canaux[26]. La durabilité de cette pierre, utile contre les inondations, réduit l’érosion des sols et permet l’apparition d’un système d’évacuation d’eau, empêchant ainsi les canaux de se boucher. L’efficacité de ces quais est relative. L’économiste Heinrich Friedrich Von Storch, dans sa description de la ville, précise que la présence du granit rend les inondations moins importantes qu’il n’y paraît[27]. Selon Storch une crue de cinq pieds touche l’ouest de la cité. Tandis que lorsqu’elle atteint les dix pieds, seulement l’est de la ville est épargné. Ainsi, on comprend que la cité ne cherche pas à supprimer les inondations, mais à réduire les risques possibles.

L’usage du granit a également un autre avantage. Il facilite, par sa robustesse, le débarquement de marchandises ou de personnes et est à la fois beau et efficace[28]. Les travaux d’aménagement des quais s’amorcent en 1769 et se terminent en 1788. Tous n’ont pas été transformés. La Moïka, un des trois canaux centraux, n’est pas entièrement de granit. Lorsque l’abbé Jean-François Georgel visite Saint-Pétersbourg entre 1799 et 1800, le fils de Catherine II, Paul 1er, a pris la relève pour s’assurer que le troisième canal soit de granit[29]. Le retard de la Moïka s’explique par le fait qu’il soit composé de virages étroits dans un milieu densément peuplé[30]. Ces difficultés justifient pourquoi les quais de la Neva, du côté de l’Amirauté, sont également revêtus de granit avant la Moïka. Selon Georgel, du couvent de jeunes filles à la pointe de l’arrondissement de la Nativité, jusqu’à l’extrême ouest de l’Amirauté, le quai est de granit, excepté au niveau du bâtiment de la manufacture et du palais d’hiver[31]. Les quais, à l’extérieur de l’Amirauté, n’ont guère le privilège du granit. Storch, dans sa description de la cité, indique qu’à Vyborg il n’y a pas de quai[32]. Et que sur l’île de Pétersbourg, la forteresse Pierre-et-Paul est la seule à en bénéficier. Du côté de Vassilievski, espace commercial majeur, le bois est encore utilisé, mais le quai est mature pour une conversion au granit. Il est inéluctable que ce dernier arrondissement connaisse une transition vers le granit puisqu’il facilite notamment le débarquement du fret. Toutefois, l’embellissement ne garantit pas la qualité de l’eau. Selon Storch, lorsque les eaux sont en contact avec une autre matière que la pierre, des particules hétérogènes s’y mélangent. D’après l’économiste russe, il est habituel de voir des bateaux au milieu de la Neva venir récupérer de l’eau saine. Ainsi, les eaux de la Fontanka sont d’une qualité moins bonne que la Neva, le canal Catherine est pire, celles de la Moïka sont imbuvables[33]. Si l’embellissement des quais donne une image propre, se rapprochant de l’idéal envisagé, certaines conditions sanitaires semblent surgir malgré des mesures pour améliorer la situation, comme le fait d’éloigner les tanneries qui rejettent leurs déchets dans l’eau dès 1767[34].

Ainsi, le centre de la capitale est aussi densément peuplé que les efforts pour le rendre majestueux sont importants. Or, la ville est encore clairsemée en périphérie et peu d’initiatives efficaces sont entreprises comme en témoignent deux artères de Saint-Pétersbourg : la Grande Avenue de l’île Vassilievski et la Perspective Nevski.

Cependant, Berelowitch et Medvekova théorisent que la longueur de ces artères confirme le vide dans Saint-Pétersbourg[35]. La carte de Savinkov illustre leur propos. Les grandes artères sont les repères de la planification et de l’organisation urbaine. La lente urbanisation de ce secteur révèle un développement moins rapide que ce qui aurait pu être escompté initialement.

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À Saint-Pétersbourg, les avenues sont larges d’une moyenne de vingt-deux mètres, voire vingt-trois. Le plan ne fait donc pas justice à la Grande Avenue de Vassilievski qui est d’une largeur de 100 mètres[1]. La Grande Avenue symbolise l’échec d’une politique d’habitation puisqu’à l’est, l’île est occupée, mais elle l’est de moins en moins si vous suivez la Grande Avenue vers l’Ouest.

[1] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 172.

Gostinyy Dvor, les halles de la ville sont situées le long de la Perspective. Les boutiques dans les maisons sont rares dans le Saint-Pétersbourg de Catherine II avant 1782. Jusqu’à cette année, il est interdit d’ouvrir un commerce en dehors d’une arcade marchande, ce qui force à la centralisation[1]. Gostinyy Dvor s’affirme comme le cœur mercantile de la ville, sur la perspective Nevski. Il est possible d’y acheter des étoffes d’or et d’autres biens et produits venus du monde entier[2].

[1] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 187.

[2] Ibid., p. 188-189.

La Perspective Nesvki est d’une longueur de 4,5 kilomètres, et part de l’Amirauté jusqu’au Monastère Nevski en traversant cinq arrondissements de la cité. La Perspective Nesvki connaît nombre d’évolutions et fait effet de miroir. Heinrich Storch explique qu’elle est la principale artère de la capitale avec de nombreux magasins, hôtels, avec un goût prononcé pour le luxe, et des églises de toutes confessions[1]. Toutefois, la perspective Nevski reflète l'état urbain de la cité avec une certaine logique. Du centre jusqu’au monastère, en 1804, un marcheur passe de bâtiments construits de pierres, puis de bois et enfin à aucun édifice. 

[1] Heinrich Friedrich von Storch, The Picture of Petersburg, Londres, T.N. Longman & O. Rees, 1801, p. 42-43.

Figure 25. La Grande Avenue (île Vassilievski), la Perspective Nevski et localisation de Gostinyy Dvor. Veuillez appuyer sur les loupes pour de plus amples informations.

Figure 26. Les canaux Obvodnyy et Ligovo en 1804.

D’autres projets nécessitent la modification du territoire comme l’émergence d’un cours d’eau. Depuis la création de la cité, les canaux, initialement vus comme un moyen de transport pour la population, servent aux déplacements des marchandises et à l’évacuation des eaux suite aux inondations. De nouveaux cours d’eau, comme Obvodnyy et Ligovo n’échappent pas à cette règle.

Pour George Munro, la construction des deux canaux vise à drainer les marais, évacuer les crues, définir les frontières de la cité[36]. Toutefois, ces canaux se butent à la réalité. Le canal Obvodnyy a une illustration similaire aux autres, mais il ne sera navigable qu’à partir de 1835, quand il sera approfondi de trois mètres[37]. Son utilisation sera principalement commerciale. Donc, Munro, et peut-être même Catherine II, sous-estiment l’importance de ce canal. Au regard des cartes et des informations déjà énoncées, les conditions de navigation sur la Neva sont difficiles et les canaux comme la Fontanka, la Moika, Catherine, sont trop étroits. Ainsi, le canal Obvodnyy viendra, lorsque que creuser plus profond, améliorer le transit des marchandises, de l’intérieur de la Russie, vers l’international en facilitant le passage à Saint-Pétersbourg.

Et, bien que rien ne l’indique sur la carte de 1804, l’impératrice installe à côté du couvent Smolnyy un débarcadère pour faciliter le transit des marchands intérieurs et le transfert du fret vers le centre de la capitale[38]. Cela doit désengorger le trafic de la Neva et permettre aux points névralgiques, comme l’est de l’île Vassilievski, de ne pas avoir l’unique responsabilité douanière.

Figure 27. Nouveau port à la pointe de la Nativité.

Conclusion

Une fois n’est pas coutume, le SIG démontre que l’établissement des quais de granit et le découpage administratif priorisent le cœur de Saint-Pétersbourg. Catherine II, comme ses prédécesseurs, cherche à satisfaire les exigences d’une élite nombreuse et continue de promouvoir l’image occidentale à travers des réformes architecturales.

La situation de la périphérie évolue quelque peu entre 1753 et 1804. Le SIG fait ressortir plusieurs projets, comme l’établissement de nouveaux canaux, d’un débarcadère, permet de donner de l’importance à certains espaces sous-utilisés. Mais certains problèmes restent insolubles, comme la présence de marais sur Vassilievski, la récurrence des inondations, ainsi que la perpétuation des zones clairsemées. Aucune de ces évolutions ne change la dynamique de ces bordures extérieures qui restent en retrait. La création du canal Obvodnyy, encore sous-exploité, ne change guère la dynamique urbaine centralisée. Au contraire, il renforce le sentiment d’un espace non-maîtrisé puisque ce canal doit limiter l’impact des crues qui pourrait peut-être empêcher une expansion du territoire. Les grandes artères illustrent le vide qui prospère en périphérie, la concentration de l’Amirauté, mais aussi l’échec d’établir une occupation totale de l’île Vassilievski.

Références

[1] George E. Munro, The Most Intentional City: St. Petersburg in the Reign of Catherine the Great, Plainsboro, Associated University Presse, 2008, p. 217.

[2] Ibid., p. 218.

[3] Ibid., p. 237.

[4] James H. Bater, St. Petersburg: industrialization and change, London, E. Arnold, 1976, p. 31.

[5] Wladimir Berelowitch et Olga Medvekova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996, p. 258.

[6] Munro, op. cit., p. 280.

[7] Ibid., p. 281.

[8] Gilbert Rozman, Urban Networks in Russia, 1750-1800, and Premodern Periodization, Princeton, Princeton University Press, 1976, p. 147.

[9] Aleksandr Savinkov, « Plan Peterburga 1804 goda Savinkova », 1804, https://primo.nlr.ru/permalink/f/df0lai/07NLR_LMS010107055. (Consulté le 4 novembre 2019).

[10] Steven Seegel, Mapping Europe’s Borderlands: Russian Cartography in the Age of Empire, Chicago, University of Chicago Press, 2012, p. 72.

[11] Ibid. p.72.

[12] Helen Wallis et Anita McConnell, Historian’s Guide to Early British Maps: A Guide to the Location of Pre-1900 Maps of the British Isles Preserved in the United Kingdom and Ireland, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 56-57.

[13] A. Jon Kimerling et al., Map Use : Reading, Analysis, Interpretation, Redlands, California, Esri Press, 2016, p. 127.

[14] Mark Monmonier, How to Lie with Maps, Third Edition, Chicago, University of Chicago Press, 2018, p. 65.

[15] Ibid., p. 67.

[16] Munro, op. cit., p. 234-235.

[17] Ibid., p. 235.

[18] Berelowitch et Medvekova, op. cit., p. 171.

[19] Ibid.

[20] Rozman, op. cit., p. 146-147.

[21] Berelowitch et Medvekova, op. cit., 176-177.

[22] Ibid., p. 180.

[23] Ibid.

[24] Berelowitch et Medvekova, op. cit., p. 218.

[25] Michael J. Waters, « Reviving Antiquity with Granite: Spolia and the Development of Roman Renaissance Architecture », Architectural History, vol. 59, 2016, p. 149.

[26] Munro, op. cit., p. 236-237.

[27] Heinrich Friedrich von Storch, The Picture of Petersburg, Londres, T.N. Longman & O. Rees, 1801, p. 158-160.

[28] Munro, op. cit., p. 236-237.

[29] Jean François Georgel, Voyage à Saint-Pétersbourg en 1799-1800, Paris, Eymery et Delaunay, 1818, p. 241.

[30] Munro, op. cit., p. 236.

[31] Ibid., p. 239.

[32] Heinrich Friedrich von Storch, op. cit., p. 16.

[33] Ibid., p. 115.

[34] Munro, op. cit., p. 244-246.

[35] Berelowitch et Medvekova op. cit., p. 171.

[36] Munro, op. cit., p. 236.

[37] Alexei Kraikovski et Julia Lajus, « The Neva as a Metropolitan River of Russia: Environment, Economy and Culture », dans Terje Tvedt et Richard Coopey (éd.), A History of Water, Londres, 2010, p. 352.

[38] Munro, op. cit., p. 243.